WhatsApp ou Telegram ?

Voilà une question qui revient souvent sur le web de la part de personnes en quête de solutions pour un système de communication plus respecteux de la vie privée. Il y a déjà eu bon nombre d’articles à ce sujet, mais la communauté de sousliks et moi-même souhaitions apporter notre pierre à l’édifice. Alors WhatsApp ou Telegram ?

Telegram ou WhatsApp ?

Origines des deux messageries

WhatsApp

WhatsApp a été crée par Brian Acton et Jan Koum, collègues de travail neuf années durant chez Yahoo. Après avoir quitté l’entreprise en 2007 et essuyé un échec en postulant chez Facebook, les deux anciens salariés décident de lancer une application de messagerie sans publicités et sans jeux, qui affiche le statut définit par les utilisateurs en face de leur nom ou pseudonyme. Le nom WhatsApp est choisi puisqu’il s’approche de l’expression anglaise “What’s up? », « quoi de neuf ? » en français. En novembre 2009 l’application est lancée. Le succès est rapidement au rendez-vous, avec des utilisateurs qui adoptent l’idée de se connecter juste un numéro de téléphone et d’envoyer des messages à des contacts en utilisant Internet au lieu de passer par les SMS d’un opérateur. Le tout plus rapidement et pour un coût moindre.

Être capable de joindre quelqu’un à l’autre bout du monde instantanément, sur un appareil qui est toujours avec vous, était un sentiment fort.” – Jan Koum

Brian Acton et Jan Loum, fondateurs de WhatsApp

Trois années après son lancement, l’application compte 200 millions d’utilisateurs. Peu à peu, Jan et Brian changent leur business plan et décident, à l’issue de la première année d’utilisation, de faire payer 1 $ par an l’utilisation de WhatsApp à chaque utilisateur. Cela peut paraitre peu, mais quand vous avez des millions d’usagers, vos revenus deviennent colossaux ! Et évidemment, plus vous avez d’utilisateurs, plus vous attirez d’investisseurs… Les fondateurs de la messagerie qui s’enrichit peu à peu de nouvelles fonctionnalités, n’étaient pas vraiment amateurs de marketing et de presse. Leur objectif principal était leur produit qui semblait durable avec son modèle payant à 1 $, hissant WhatsApp dans la liste des 20 meilleures applications sur l’Apple Store en 2011.

En février 2014, WhatsApp est racheté par Facebook pour la modique somme de 19 milliards de dollars, ce qui représente à l’époque la plus grosse acquisition de la société. Jan Koum se voit au passage offrir une place au sein du conseil d’administration de Facebook. Il semblerait que cet achat fut motivé par le fait que Facebook voyait WhatsApp comme un futur sérieux concurrent [1]. De plus, pour une plate-forme qui génère ses revenus sur la publicité comme Facebook, WhatsApp et ses données n’étaient rien de moins qu’un coffre au trésor en attente d’ouverture… En janvier 2016, l’application devient entièrement gratuite. Si à l’origine les fondateurs de WhatsApp étaient contre la publicité ciblée, Facebook changea peu à peu la donne.
Lors de l’acquisition, Koum promet « Pour nos utilisateurs, rien ne changera« , WhatsApp qui conserve son indépendance, s’engage notamment à ne pas partager les données de ses utilisateurs avec Facebook. Mais cette promesse est rapidement rompue [2]. En 2016, la messagerie commence à fournir des informations, comme les numéros de téléphone et les smartphones utilisés, que sa maison mère peut utiliser à des fins publicitaires. Ce revirement sera sanctionné par une amende de 110 millions d’euros en Europe [3]. Cela entrainera également la démission de Jan Koum en avril 2018. Brian Acton, le deuxième co-fondateur, était lui déjà parti en septembre 2017, en déclarant au sujet de Facebook : « Ils ne représentent qu’un ensemble de pratiques commerciales et de principes avec lesquelles je ne suis pas forcément d’accord » et d’ajouter en octobre 2018 :

« Au final j’ai vendu mon entreprise. J’ai vendu la vie privée des utilisateurs pour plus d’argent. J’ai fait un choix et un compromis, et je dois vivre chaque jour » – Brian Acton

En quittant le navire, l’homme laisse également tomber plus de 850 millions de dollars d’actions Facebook [4] ! Lors du scandale Cambridge Analytica qui éclata au grand jour en mars 2018, Brian Acton s’était fendu d’un tweet explicite encourageant les utilisateurs à « effacer Facebook« .

Telegram

Telegram est une application de messagerie créée par deux frères russes : Pavel et Nikolai Durov. Depuis sa petite enfance, Pavel a eu peu de considération pour les figures d’autorité. Alors qu’il était encore à l’école, il a utilisé ses compétences de codeur informatique en herbe, pour pirater le réseau de son établissement scolaire. Il a changé le texte accompagnant la photo du professeur qu’il aimait le moins en « Must Die » (« doit mourir »). L’école a répondu en coupant simplement l’accès au réseau mais Pavel a déchiffré les nouveaux mots de passe à chaque fois.
Son frère ainé Nikolai, était lui aussi un enfant prodige, lisant des livres à l’âge de trois ans. L’entrepreneur, journaliste et activiste russe Anton Nossik qui connaissait bien les frères Durov, déclara que Nikolai était « un génie informatique« . Dans des interviews, Pavel fit d’ailleurs souvent référence à son frère aîné comme son modèle et son mentor en codage informatique.

Pavel Durov

En 2006, fraîchement sorti de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, Pavel fonde VKontakte aidé par son Nikolai alors directeur technique de l’entreprise. VKontakte était initialement conçu comme une plate-forme sociale pour les étudiants universitaires, mais l’obsession des deux frères était de bâtir la réponse russe à Facebook, en rendant leur réseau social plus rapide et plus fiable. En 2013, VKontakte compte 210 millions d’utilisateurs enregistrés et continue de croître. Le succès fulgurant de VKontakte est facilité par une absence presque totale de régulation du marché de l’Internet en Russie au début des années 2000. Fervent libertaire, Pavel a embrassé le vide.
VKontakte s’est rapidement rempli de centaines de milliers de films et de musique piratés, devenant un point central de la vie culturelle. Les critiques ont déclaré que le réseau social facilitait la violation des droits de propriété intellectuelle en fournissant un accès non rémunéré aux films et à la musique sous licence. Il a également été accusé de distribution de pornographie.

En décembre 2011, une vague de protestations a balayé le pays. Des dizaines de milliers de Russes, dont beaucoup faisaient partie de la « génération VKontakte », ont protesté contre le truquage des élections législatives. Face au plus grand soulèvement du règne de Poutine, l’appareil de sécurité de l’État russe est entré en action. La branche de Saint-Pétersbourg du service fédéral de sécurité, le FSB, a demandé à VKontakte de supprimer les pages de sept groupes utilisant le site pour coordonner et rallier les manifestations. Les forces de l’ordre avaient précédemment demandé de limiter l’activité des utilisateurs jugés extrémistes – et VKontakte leur aurait donné un accès par porte dérobée – mais cette fois, les choses étaient différentes. Pavel a répondu par un non catégorique, affichant une photo d’un chien dans un pull à capuchon avec sa langue qui sortait à côté d’un lien vers un scan de la demande officielle du FSB.

A plusieurs reprises le gouvernement russe demanda à VKontakte des informations sur des activistes, mais à chaque fois Pavel répondit en rendant publiques les demandes sur les réseaux sociaux accompagnées de photos de chiens velus. Sa résistance lui a valu la gloire et il a rapidement été adopté comme un non-conformiste qui contestait l’establishment.

Mais Pavel va perdre progressivement le contrôle sur sa société au profit de deux sociétés liées au Kremlin : Mail.ru et United Capital Partners. Mail.ru a ensuite acheté la part d’UCP, lui donnant ainsi un contrôle total sur la société. En janvier 2004, Pavel Durov perd la bataille pour le contrôle de sa société et vend ses parts. « [L’éviction de Pavel] a envoyé un message très simple mais puissant au marché Internet« , a déclaré Andrei Soldatov, un expert de la sécurité en ligne. « Soit vous coopérez avec le Kremlin, soit vous êtes absent. Les frères Durov mirent alors en place leur plan B, et cela impliquait de quitter la Russie !

En août 2013, ils lancent un service de chat chiffré appelé Telegram. Pavel a fourni le capital – il aurait quitté la Russie avec 300 millions de dollars en poche en vendant ses actions de VKontakte. Nikolai est responsable du codage. Le résultat est un service de messagerie qui rivalise avec les plus grands acteurs du marché comme WhatsApp, en promettant de protéger les utilisateurs contre les interférences de tiers. Les données des utilisateurs sont chiffrées et stockées dans plusieurs juridictions, ce qui rend l’accès aux tiers difficile. Une option de chat privé permet aux utilisateurs d’envoyer des messages avec la possibilité de programmer leur autodestruction selon un certain laps de temps.

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Pavel affirme alors utiliser chaque mois 1 million de dollars de sa propre trésorerie pour faire avancer le projet. Sur le site web de Telegram le message est clair « Telegram sera toujours gratuit. Pas de publicité. Pas de frais d’abonnement« . Mais le plus important pour les Durov est la confidentalité et pour cela, Telegram sera et est attaqué de toute part, plus seulement par la Russie mais par plusieurs gouvernement (Iran, Pakistan, Bahreïn, Inde…). Cela est d’autant plus vrai que le lancement de Telegram coïncide également avec les révélations sur les pratiques d’espionnage de masse à la National Security Agency (NSA) des États-Unis divulguées par Edward Snowden. Pavel a surnommé Snowden – qui, ironiquement, a obtenu l’asile politique en Russie – son «héros personnel». L’argument habituel contre Telegram est que sa confidentialité permet des échanges entre des terroristes, ce à quoi Pavel Durov réplique « Je pense que la vie privée, en fin de compte, et notre droit à la vie privée sont plus importants que notre peur que de mauvaises choses se produisent comme le terrorisme« . Derrière cet argument du terrorisme, il faut surtout y voir le mur auquel font face les autorités pour accéder aux données des utilisateurs et utilise le terrorisme comme raison pour demander l’accès à des dernières.

Les Durov et une poignée de programmeurs dont beaucoup sont russes, vivent la vie de fugitifs. Pavel alterne entre trois téléphones. Bien que l’entreprise Telegram soit basée à Berlin, son personnel se délocalise vers un nouvel emplacement tous les mois, séjournant dans des chambres d’hôtel ou des logements loués.

En avril 2018, devant le refus de Telegram de fournir les clés privés nécessaires au déchiffrement des messages publiés, faisant écho à une loi antiterroriste de grande envergure promulgué en 2016, un tribunal de Moscou décide d’interdire l’utilisation de la messagerie Telegram en Russie [5]. Il a fallu une audience décidée la veille (!!) de seulement 18 minutes pour que la décision fut prise [6]. L’interdiction place le Kremlin dans une position délicate, car Telegram est largement utilisé par les agences gouvernementales, y compris par le bureau de presse du président Vladimir Poutine…

Malgré le fait d’avoir bloqué plus de 19 millions d’adresses IP liées à Telegram en Russie, la messagerie fonctionne toujours dans le pays. De toute façon, comme l’expliquent Durov et d’autres experts, le Kremlin demande l’impossible car le chiffrage des échanges se produit au niveau de l’utilisateur individuel et il n’y a pas de clé universelle de déchiffrement.
Début juin 2020, la Russie autorisait de nouveau Telegram sur son territoire [8].

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Quel choix ?

En faisant le tour des terriers ici dans la toundra, il est clair que notre choix de messagerie est sans appel : Telegram. Il suffit déjà de comprendre l’historique de WhatsApp et de Telegram pour constater tout de suite que la démarche n’est pas la même.
WhatsApp appartient à Facebook, une des sociétés les plus puissantes du monde, bien connue pour sa collecte de masse des données de ses utilisateurs. Il ne se passe pas une année sans qu’un nouveau scandale éclate à ce sujet. Nous vous invitons d’ailleurs à consulter « la revue de presse qui accuse » que nous tenons à jour sur ce site.

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Facebook est une société américaine et de ce fait placée sous la juridiction des USA, un pays qui fait partie de la coalition des Cinq, Neuf et Quatorze yeux chargée de l’interception des communications et la collecte de données.

Le développement de Telegram a lui toujours été dicté par le respect des libertés d’expression et de pensée. Les attaques répétées de certains pays contre le chiffrement de la messagerie montre bien qu’elle dérange. Pavel Durov précise lui-même que durant toutes ces années d’existence, Telegram n’a connu aucune faille majeure de sécurité et aucune fuite de données [7], rappelant au passage pourquoi « WhatsApp ne sera jamais sûr ni sécurisé » et « Pourquoi utiliser WhatsApp est dangereux« . On laissera libre à chacun de juger ses propos, car finalement Durov ne prêche-t-il pas pour sa propre paroisse en disant cela ?

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Le choix de Telegram est aussi logique au vue des fonctions proposées par l’application, comme l’auto-destruction planifiée des messages, la création de groupes et canaux de diffusion ou encore la synchronisation entre plusieurs appareils fonctionnant sous différents système d’exploitation. Telegram est globalement en avance sur WhatsApp en termes d’ouverture et de fonctionnalités. WhatsApp, de son côté, reprend (pour ne pas dire copie) les fonctions de Telegram avec, par exemple, le chiffrage des conversations mis en place depuis avril 2016 ou encore l’invitation dans un groupe par lien, c’est-à-dire sans connaître les coordonnées des gens, ce que Telegram propose depuis le début.

Bref, entre une société qui accumule toujours plus de milliards de données chaque année sur notre dos et deux frangins qui se battent pour notre vie privée et notre liberté d’expression, quitte à vivre en exil, notre choix est vite fait…

=> Notes : Telegram ne propose pas le chiffrement de bout en bout par défaut, il vous faut lancer un « chat secret » avec votre correspondant pour l’activer !

Source et références

  1. These Confidential Charts Show Why Facebook Bought WhatsApp
  2. En conflit avec Facebook, le patron de WhatsApp s’en va
  3. L’UE inflige 110 millions d’euros d’amende à Facebook
  4. Exclusive: WhatsApp Cofounder Brian Acton Gives The Inside Story On #DeleteFacebook And Why He Left $850 Million Behind
  5. Russian Court Bans Telegram App After 18-Minute Hearing
  6. The Incredible Life of Pavel Durov – Russia’s Mark Zuckerberg
  7. Why WhatsApp Will Never Be Secure
  8. Telegram est de nouveau autorisé en Russie

3 réponses

  1. Merci pour cet article palpitant ! Il ne lève cependant pas le voile sur le modèle économique de Telegram qui continue à me tarabuster. Comment le truc peut-il fonctionner ? Je n’ai trouvé nulle part d’autres infos que le fait que les Durov financent et s’engagent à maintenir gratuit et confidentiel. Il y a là quelque chose de problématique. Je serais plus tranquille si on payait une dizaien d’€ par an, comme on le fait chez Posteo ou chez riseup et que l’on garantit une absolue transparence. Quelqu’un a-t-il plus d’infos ?

  2. Bonello dit :

    Bonjour Siksik, merci encore pour ces informations tellement utiles car je n’y connais pas grand chose.
    Dernièrement, suite à l’info sur Whatsapp, j’ai vu migrer plusieurs de mes contacts sur Signal qui était déjà installé sur mon smartphone. Je trouve un peu suspect qu’une seule alternative ait été proposée à Whatsapp: Signal .
    Avez vous des infos sur Signal ? Car ce que j’ai vu sur internet ne m’a pas beaucoup éclairée.
    Il est dit que Signal est une messagerie sécurisée. Comment ? comparé à Télégram, par exemple?
    Merci Siksik

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